Le Nouvelle Orphée 1923 - Ivan Goll

Ivan Goll

Le Nouvelle Orphée

Fernand Léger

Édition de la Sirene
Paris

1923


Inhalt

I. Théâtre et Film

La Chaplinade. 1920

Mathusalem. 1919

Assurance contre le Suicide. 1918

- Diese Stücke sind enthalten in: Yvan Goll, Dramen und dramatische Szenen. 1920-1948 -

 

II.Poèmes

Paris Brûle. 1921

Le nouvel Orphée. 1917

Astral. 1918

 

III. Poésies. Édition du matin. 1921

Édition du matin

Cartomancienne

Acacias

Soleil

Horloges

Cyclisme

Bar des Misères

Fin du monde quotidienne

Téléphone sans fil

Joaillerie

Berceuse

Pics

Réveille-Matin

Petite Trilogie Alpine

1. Vallée

2. Montagne

3. Glacier

Départ

Village

Les Dieux

Les Pères

La Demoiselle aux Myosotis

Comme à Singapour

Quatre Chansons pour elle I-IV

Le Canal de Panama I-IV

Gare Montparnasse

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POÈMES

 

Paris Brûle. 1921

Nef écarlate «Paris»
A Dieu va, sur les plâtres de toutes les mairies
aux flancs de tous les trams!
L'enseigne LIBERTÉ ÉGALITÉ FRATERNITÉ
se balance aux courants d'air des prisons
Des anges s'envolent des tours de St. Sulpice
en ascenseurs invisibles
Les pinolas chantent dans les voiles
Angélus
5 heures du matin
L'apocalypse des trains de marchandises
entre lentement en gare sous la pluie
et porte les oranges or aurore
On en charge les premiers autobus
qui vont au Châtelet

Les blancs corbeaux des quotidiens
se battent autour des appâts de la nuit
Le monde juge en trois lignes
Evangile des métros
     «Un coiffeur se pend aux cheveux de sa femme
     12 nègres à bord du <Suffren> fusillés pour raisons
     confessionnelles
     Grève générale au Vatican Le pape souffre de
     douleurs internes
     A New-York une comète ressuscite 3 000 000 de morts
     Ils s'aimaient: 10 ans de travaux forcés»

Boulevards républicains
les cafés matinaux clignent
les maisons lèvent des stores lourds de sommeil
Vespasiennes sources aimables
que n'y pousse le thym!
Et les dernières veuves de la nuit
boutonnent les brouillards sur leurs seins

Nuit en ton honneur
on élève Boulevard Arago
la statue Guillotine
où vient percher un merle bleu
L'assassin frisé sourit
en première page du Matin
dans toutes les laiteries
deuil de tous les trains de banlieue d'Europe
Déjà roule la tête
dans la sciure d'or
roule et monte
dans le dos de l'humanité
ronde
rouge
SOLEIL!
Tu ne tueras point!
Mais le soleil n'est pas une tête de mort
Il est l'humble pissenlits
Il est le chignon blond de ma dactylo
Il est l'épingle de ma cravate
Et à Paris
dans toutes les boulangeries
qui sentent les champs de bluets
il est cette miche
de trois kilos

Les bonnes ménagères dissimulent
derrière les ciels-de-lit
une bouteille de vitriol
pour quand viendra le facteur
avec un grand malheur
Le spécialiste des maladies de peau
écrit son ordonnance de mort
au rez-de-chaussée des hôtels meublés
et fait l'escompte aux manucures

Mais à tous les arrêts de trams
une inconnue m'attend
Les autobus démarrent
complets aux larmes
D'abord elle sourit: ensuite
je mets son cœur sur de la glace à la framboise
Trois cents fois elle s'appela Isabelle
Mais hier ce fut Zouzou
tombée d'une chambre d'hôtel
Son cœur est une poupée
qui ferme les yeux quand on la penche
Mais quand elle pleure
la vieille femme déjà transparaît
Ses paupières sont des feuilles d'automne
qui ont peur de tomber dans l'herbe

A deux on découvre la nature
petits vapeurs de St. Cloud
Primevères véritables autour de l'usine à gaz
Sous les aisselles les déesses de marbre portent de la mousse
Les matins vieillissent vite
L'arbre s'envole
Demi-tour il n'est plus temps
d'être grec

Tourne toupie du monde Cirque
Panthéon en toc
Fouettée de jarretelles roses!
A la Grande Roue on met en loterie les étoiles
Un manège de bêtes électriques tourne
autour de ton geyser de métal
Tour Eiffel

De lunes à lunes
se tendent les courroies de transmission
Soleil sur monocycle
au vélodrome astronomique
poursuis ton handicap
Midi
Zénith
Il transpire dans son sweater jaune
Cette course est éternelle
La voie lactée est un pneu neuf
Et à Longchamp
des jockeys or citron
prennent le départ
HURRAH!
L'homme défie le champion divin
Tous les coiffeurs d'Europe mettent
leur âme au Pari Mutuel

     MIDI

Haute tension
700 000 volts
Accumulateurs d'influx nerveux
L'aiguille en platine de la Tour Eiffel
crève l'abcès des nuages Fièvre'
Isolement des typhiques
Hauts-fourneaux
Trains de neige incandescence 44°C
plus ou moins 0
Les forêts flambent comme du papier à cigarettes
Les icebergs glissent sur l'équateur
Les comètes battent de la queue
Des aigles en aluminium
tombent
Cent ans tournent comme une roue folle
au cadran
Chronomètre garanti or
Soleil
Et j'ai peur
que mon cœur
qui n'a pas de cran d'arrêt
comme un revolver
ne parte tout seul

Les sphinx en briques
intiment: TRAVAIL TRAVAIL
Les sirènes prostituées des usines nasillent
pousse coupe soude tourne laboure chauffe balaye tricotte
   soulève meurs
O socialiste Sébastien à la barbe en feu
Monté sur ton réverbère
prophète enroué
montre-leur les nouvelles Tuileries
Le nuage se lève à Belleville
Drapeaux rouges incendiant les prisons

     LIBERTÉ  ÉGALITÉ  FRATERNITÉ

La Semeuse a mis son bonnet phrygien de travers
Rentiers votre bonne amie
danse le tango
sur chaque pièce de 40 sous

Vierge souriante des Folies-Bergère
Au vent de ton Origan
Les dreadnoughts débarquent en France
ta chevelure bleu-blanc-rouge
Allume les phares d'Europe

Pourtant je sais ton humilité
vierge des inconsolables matins
qui marchande les occasions de blouses
et sur la lampe à pétrole
vite prépares deux œufs à la coque

Mais il y a les tireuses de cartes
sur un tabouret de piano
Pythies elles hument les vapeurs
d'un thé à bon marché
et vendent aux pauvres filles
la bonne étoile
l'as de carreau de l'espoir
trois neufs pour le mariage
la femme de pique vous en veut
et derrière le paravent japonais
le roi de cœur fume
du Maryland
O Place de la Concorde
où manque une pyramide
Au Ministère de la Marine
dans un bureau moisi
il y a Madagascar
en peinture
les amiraux bleu de prusse
aux belles barbes
aimantent de leurs crayons
les cuirassés autour de Gibraltar
Départ officiel
Alphonse XIII se cramponne à son tube
Les Présidents de la République se montrent à toutes les
   fenêtres
Seul le prince héritier Hirohito
d'un sourire cynique
exécute tout le corps diplomatique

     VIVE LA FRANCE!

Là: un accident
Rumeurs
Film d'une seconde
Une tête
Un chapeau
Une tête parmi cinquante mille têtes
Raie à gauche
qui tombe
qui roule
sous la roue impitoyable
Tête à barbe paternelle
Peut-être Iochanaan
sorti du gouffre du métro
ou une tête quelconque
peut-être ma tête...

L'encre bleue de tous les reporters pâlit
Le photographe fait sa révérence à l'histoire
Les rotatives
vomissent des reptiles gris
toutes les salles de rédaction
sont des boîtes de Pandore
au dessus des bourses de Londres et de Bruxelles
une main menace
blanche
charnue
grasse
manchette et boutons de nacre
anathème qui se lève et se convulsionne
Tous les gramophones connaissent le cours de la Royal-Dutch
La Marseillaise

     ALLONS ENFANTS DE LA PATRIE

Sur les Boulevards
on récite la litanie des saints chiffres de l'époque
Oracle
606
69
75
Poker de la civilisation
A Chicago la célèbre tuile tombe des toits
Au Groenland un phoque crève
A Shantung le Ministre des Finances chante:
     J'ai sur ma dent
     une couronne d'or

     J'ai 100 actions
     Mines d'Olympe

    J'ai un tombeau de famille
    Pour 20 siècles

    J'ai
    J'ai

Et il donne sa démission
Moscou télégraphie à Gomorrhe

RÉVOLUTION!

des ouvriers dans un tank-tramway bleu attaquent le Louvre
A toutes les terrasses de Cafés
fleurissent les cocardes du 1. Mai
«Mitrailleuses à coudre Singer»
Les cheminots sont en grève
Les express se reposent dans les forêts de sapin
pendant quatre jours
Les radiogrammes bourdonnent
dans leur ruche Tour Eiffel
La station du Mont-Blanc brille au loin
Signaux diamants
«Edition spéciale!»

Idéal des idéaux
Match de boxe àJersey-City
L'ère nouvelle du droit du poing
L'Union des Merciers envoie une délégation au-delà de
   l'Océan
Attention! Premier round!
L'Europe et le nègre Zeus se serrent la main
Caleçon tricolore
La poitrine humaine cintre un acier rose
Les appareils Morse ont tous la fièvre
Quatre poings façonnent l'honneur du monde
U.S.A. toutes les montres sont arrêtées
Les usines de munition ont congé
Les paquebots stoppent en plein Atlantique
Quatrième round
Des montagnes ont le vertige
Banques cambriolées
77 suicides
300 attentats à main armée
Knock-out
     LA STATUE DE LA LIBERTÉ sourit
alors une guerre éclate
des squelettes battent du tambour
le prix du sucre monte
enterrements gratuits
des héros laurés de bandages
entassés dans des wagons à bestiaux
portent leur cœur séché
entre deux feuilles de papier timbré
Le rapide Rome-Stockholm
est exclusivement composé de voitures-cercueils

A cet instant
devant une table de café
un GÉNIE découvre
l'amour des hommes
Café ESPRIT
Centrale du monde
Frères et sœurs échangent des cigarettes
CAFÉ DES WESTENS       CAFÉ DE LA ROTONDE
CAFÉ TERRASSE             CAFÉ PRAGUE
CAFÉ STEFANIE              CAFÉ DES TROIS MONDES
Dans les glaces à la pistache
nagent les planètes inexplorées
Les ventilateurs des cerveaux ragent
dans les miroirs sans tain
les poètes se noient pêcheurs de rêves
les peintres ajoutent au ciel des balcons outremer
Les dynamos écarlates de Fernand Léger
fendent le ciment des murs
Lipchitz fait chanter de nouveaux sphinx
tandis qu'au Louvre-cimetière
l'herbe croît dans les oreilles des statues gothiques

Pendant ce temps
le garçon de café
vend en contrebande
de la fraternité
à 50 centimes

Paris
Diamant au cou d'Europe
irisé de cent mille lampes à arc et à pétrole
Un jazz joue sur l'Arc de Triomphe
Panthéon cymbales
Orgue du Trocadéro
Paris Fox-trott
Flûte douce dans le vent
écoutez la Tour Eiffel
Le magicien en casquette de sport Monsieur Eiffel
au centième étage de sa tour
reçoit personnellement à dîner
les poètes européens
Orchestre symphonique des nuages
Acoustique interplanétaire
Après le troisième service
étoiles grillées aux foudres
toasts

Toute la nuit dura ce concours de poésie
A chacun Monsieur Eiffel fit cadeau de 3 actions de sa
   Société Anonyme
Paris brûlait toujours
Les agrafes des Grands Boulevards étaient en platine
Et la Seine veuve de guerre traînait ses perles
réverbères noirs
Tous les bijoutiers obtinrent le prix Nobel
La Place de l'Opéra
minée de cubes Maggi
était gardée par des danseuses du Corps de Ballet

Berlitz-School Académie de la Cinqième Internationale

Au Musée Grévin Marat demandait trois francs pour un
interview
Café de Madrid: Congrès des voyageurs en pianos
Et toutes les adultères épousent leur détective
O Reine de Roumanie vends moi de ton amour
car je m'appelle Ivan
En bon Européen
je te tuerai demain!
Je vais chercher mon dernier désespoir
au ciné que garde le Suisse de N.-D.
Charlotte Corday rit sur les affiches
Et des aérostats en flammes
projettent la photo de Lénine
sur Saturne

Te voilà violette Zouzou
silencieusement fleurie
au rayon de la papeterie
du Printemps
En échange de ce poème
veux-tu me vendre un block-notes?
Et puisque les alouettes sont mortes
je jette en l'air
des chèques roses
Échelles de Jacob les ascenseurs
nous montent dans notre pauvre Eden (Hôtel)
Téléphone insipide
Menus
à pleurer dessus
et bordés de noir
Le portier n'est qu'un père de famille soucieux
Où se trouve l'Australie?
Quand partent les bateaux pour St. Cloud?
La police arrive dans une auto bleu-ciel
Les trains de marchandises
butent et se cabrent
avec leur chargement d'oranges pourries
Le lever du soleil est décommandé pour aujourd'hui
Dernier
feu rouge
à l'express du monde
mon cœur
s'éteint

Quelle heure est-il?


Le nouvel Orphée. 1917

Orphée
Musicien d'automne
Collectionneur d'étoiles
N'entends-tu pas la terre qui sonne creux
Quand tombent les pommes?
Une comète passe:
Pourquoi ne fais-tu aucun vœu?
Des lionnes timides
Mangent le pain bis dans ta main
Et s'ennuient
Matin et soir les alouettes rentrent
Sans avoir trouvé l'infini
Le ruisseau vieillit à vue d'œil
Et les myositis méditent
Sur le suicide de demain...

Orphée! Orphée!
Ce n'est pas l'oxygène des forêts de nymphes
Qui rend heureux
L'ozone des sommets étouffe l'homme
Mais la plus basse terre
A son mystère
Son Eurydice et ses enfers

Mais l'homme
lm 70
68 kg
Yeux bruns
Front bas
Melon
Acte de naissance dans la poche
L'homme qui vit
Par l'Etat
La démocratie
Les journaux:
Sait-il, qu'il tourne en rond sur une étoile?

Orphée
L'ami de la gentiane et du chamois
Frémit en voyant l'homme
Sans vent sans lune
Prisonnier dans la geôle de sa chair
Dans les villes de plâtre
De fer-blanc
De papier -
Monsieur, arrêtez-vous!
Redingote
Raie sur le côté:
Identifiez votre cœur
Européen de culture moyenne
Individu
O visage ambigu
Qui derrière la barbe toujours cache une femme
Bisexe
Dieu et Antidieu
Avoue!

Tu ne connais pas Orphée?
Il tourne l'orgue du ciel
Il tourne la roue des planètes
Il tourne la montre sur ton cœur
Ainsi tourne
La terre fragile
Doucement

Musique! Musique!
Écoute cher Monsieur
Applique ce nuage cosmique
Sur ton front qui te faisait mal
Qu'importent les couronnements de rois
Les maisons de rapport
Les vélodromes
Et cette église où trois Maries de bois
Pourrissent et se décomposent
Qu'importe l'odeur de toutes les religions!

Orphée est descendu pour toi
Du paradis

Il chante maintenant dans les cours des maisons
Pour les cuisinières qui n'ont pas eu d'ami
Pour les caissiers de banque sans courage de perdre
Les lycéens qui rêvent de suicide
Les dactylos dont l'enfant déjà souffre
Les femmes de ménage font la queue pour l'écouter
Et les enfants de chœur siffleront quand ils seront vieux
Les airs d'Orphée

(Nature:
Chant matinal de l'alcyon
Montagne: mère penchée sur les vallons
Érables
Marguerites
Ce monde immense à portée de la main:
Globe balancé sur un doigt -)
Orphée rends-leur cette nature!

Le mercredi entre 2h 30 et 3h 30
Timide professeur de piano
Il délivre une jeune fille de sa mère

Le soir au music-hall
Entre le Yankeegirl et Monsieur X, illusionniste
Son couplet de l'amour humain est le No. 3.

A minuit clown chargé de soleils et de lunes
Au milieu du cirque
Il bat la grosse caisse de la résurrection

Le dimanche aux réunions des francs-maçons
Salle ornée de feuillage ciré
Il dirige les chants patriotiques

Dans les sacristies de banlieue
Maigre organiste
Il enseigne aux enfants le psaume d'amour

A tous les concerts d'abonnement
Avec Berlioz
Il frappe les âmes comme des pièces d'or

Dans le cinéma de quartier
Au piano qui fait mal
Il accompagne la douleur fatale

Gramophones
Pianolas
Orgues
Tous répètent la musique d'Orphée

Le 11 septembre
Sur la Tour Eiffel
Il donne un concert T. S. F.

Orphée devient un génie
Il parcourt l'Europe en wagons-lits
Sa signature facsimilée coûte vingt francs

Puis un jour en gare de l'Est
Il se retourne:
Eurydice! Eurydice!

La foule
Sa femme
Gouailleuse troupe d'imbéciles
Binocles de travers dentiers cassés melons cravattes cancers
   casiers judiciaires
Oh rien n'avait changé
Il avait chanté pour des sourds -
La foule criait
Mauvaise bête
Parce que l'affiche était jaune
Qu'Orphée était blond et frisé

Le «Daily Mail»
Lui demande son avis sur Mozart -
Orphée tout en parlant du maître
Se tire un coup de revolver
Dans le cœur...


Astral. 1918

Recueillons -nous
Les fleurs joignent leurs mains après le passage du Roi-Midi
Le trèfle se penche et la marguerite
Ainsi reformons notre cœur
Soyons solitaires
Et simples

Chaque arbre est une mère penchée sur sa douleur
Mais l'homme que sait-il de la fleur
Du travail avec des scarabées bruns à la semence brune?
Il pèse le quintal de blé
L'homme                   que sait-il de l'homme
La tradition pourrit comme une nourriture
Dans les comptoirs et les tiroirs de son cerveau
Le paysage d'été est en émoi
Le peuple ascète des peupliers
Chemine à travers des champs bleus
Devine l'alouette acuminée
Une eau d'étang
Âme grande ouverte
Attend son frère solitaire
Et frissonne des sentiments les plus muets
Ses poissons portent le deuil
Poissons royalement froids
Tellement plus sages que nous qui nous désolons
Dans le bruissement des astres!

Le meurtre n'est qu'une nécessité!
La scorpionne amoureuse dévore son scorpion avec ses
   pinces et ses dards et ses venins
Un bain d'orties brûlantes pourrait mettre ton cœur en
   cendres
J'aime pourtant l'ortie mendiante des routes
Et ses cils verts baissés
Un paysage d'été est bondé de meurtres
Dont nous n'avons pas à nous préoccuper ni des bienfaits
d'ailleurs
Nous avons à être solitaires
Et simples

J'ai vu un arbre agonisant
Ses doigts tremblaient au-dessus de mon sommeil:
   Çà et là
Algol le couple ardent et frénétique clignait hors des
   cataractes de la nuit
Et Saturne discobole des plaines
L'arbre n'avait plus devant lui que toute l'éternité
Le rêve végétal retournait au feuillage des oiseaux
L'écorce suppurait Le bois s'émiettait La moelle se carbonisait
Fourmis serpents mites mousses et anges
Vivaient de sa mort
L'essence de la vie c'est mourir
Je voudrais être Fleuve Poisson
Miroir Eau Gélatine photographique ou Nuage
Je voudrais être métamorphose en tout!
Mais mon cœur est en verre vulgaire de bouteille à bière
Mon cœur est une vitrine: toujours la même soir et matin
Avec des poupées de cire des parents une cravate bleue
Mon cœur est un mur de pierre et de ciment
Je suis un homme je m'appelle Félix et je porte
La redingote de rigueur aux Galeries Lafayette
Pauline la vendeuse me trouve chic
«Vera-Shoe chausse mieux!» voilà mon évangile
J'aime les petits pieds des Juives et de leurs filles
Dans ma main voluptueuse
On devrait aimer un gros orteil comme un camélia
Des étangs sommeillent souterrains dans le sang -
Quand je dis à Lévy:
«Vous êtes fort au billard!» il cligne de son troisième œil
Et ricane: «Ah non pas de philosophie mon vieux!»
Je suis très bête jamais je ne saurai son arrière-pensée
Tous les hommes sourient je sourirai toujours
Et cependant «Vera-Shoe chausse mieux!»
Je ne suis plus le poète des cinq sens des trois dimensions et
   d'un seul cœur:
Je suis poète du sous-sol originel je crois
Aux rayons-O des cerveaux incandescents
Hier je vis un agneau J'en ai pleuré
Son museau était plus admirable que la cathédrale de
   Strasbourg
Son œil plus lumineux que l'hélianthème naissant
Il mâchonnait naïvement un chèvrefeuille en cœur
Et lorsque l'homme brutal voulut s'en saisir
Comme le cavalier aux échecs l'agneau bondit de biais
   dans le taillis
Tu ne connais pas la peur des solitaires ni leurs larmes
Hydrographie de Dieu
Mais tu rôtis leurs cuisses et tu les dégustes en claquant de
   la langue

Je m'écorche quotidiennement l'âme je fouille mon visage
   et le ciel
Rien n'apparaît qu'un bouton sur la peau qu'une étoile au ciel

Signes quotidiens
Il ne nous reste rien à faire que ronfler
Et crier toujours: «Vera-Shoe chausse mieux!»
Crier plus fort que le téléphone le tonnerre et les cigales
Pour qu'on serve enfin le potage-julienne
Car à 2 heures 30 je dois être à mon rayon

Dieu et le Vera-Shoe sont parents proches
Lorsque je propose à cette dame des demi-souliers en daim
Je me vends moi-même je vends Dieu je vends le monde entier
Tout ce que nous faisons est péché
Ne pas agir est l'unique salut -
Les plus saintes créatures sont les pierres
Plus saintes qu'agneaux et orties
Qu'hirondelles et étoiles

Inactives
J'aime parler avec l'âme des pierres
Les silex gisent auprès des frères les eaux
Ils croient à l'immortalité
Sont solitaires
Et simples
Du cœur des pierres en repos où pénètre le silence
Surgissent les dieux

Mais toi qui es poli envers l'inconnu dans le tram
Toi qui salues le drapeau quand battent les tambours
Qui portes un col frais qui répond de la pureté de ton âme
Aime-moi!

Tu t'étonnes à m'entendre railler ma mère:
«Une nuit de mai
Comme on jouait du pipeau
Ils se sont mariés
Mais sa barbe chatouillait trop»
Lapide-moi frère tu ne me tueras point!
Il n'importe pas qu'un homme soit mauvais ou bon
Formule comme toute formule!
Le mal est d'être homme
Cheval et rose et péruche le savent bien
Ils craignent tous notre bavarde plaie

Un seul point où nous communions
La pitié des petites orphelines et des vierges meurtries
Un jour l'héroine du Théâtre municipal d'Orléans
Invita tous les locataires de son hôtel-meublé
Pour s'arracher l'âme de la poitrine
Pour chanter à s'en tuer la mémoire
Je vis les veines gonflées à son cou ses ongles sales: quelle
   envie de sangloter!
Le tapis était misérable les tasses bordées d'or
Et du pendentif à son corsage
Le Christ saignait à neuf tout près de ma photographie
On se trouve parfois au bord de la Méditerranée
Les branches d'un figuier encadrent l'or du panorama
Les fruits fondent en couchers de soleil
Le vert corsage de la mer est plein de dentelles
Ha «Vera-Shoe chausse mieux!» crache la réclame
«Sacré poète, vous êtes un mauvais vendeur!» crie le chef
Pauline en meurt de rire
Je passe à la caisse toucher ma fin de mois
Au soir j'enlève sa nièce Isabelle

«Isabelle je t'aime
Nuage incandescent
Tes cheveux passent sur un pays de soif
Mon âme devient aviatile
Isabelle je t'aime

Viens! Le buisson a des flûtes et des voix vertes
Sur le plus sombre des bancs du parc
Nous jouerons au soldat et à la nourrice

D'Amérique piaillent les Variétés
Dans la baie d'Hudson les navires flambent de joie
Etalons et phoques fouaillent le ciel de leur queue

Isabelle je t'aime
Toi et le monde
Et la garniture rose de ton corsage
Tout est si plein de goût
Achetons ensemble le Cinéma d'Eden?»


Mon premier chant! O poétique nouvelle!
La cage cuivrée des méridiens tourne autour de nous
Le poète enregistre comme un thermomètre
La fièvre du monde
L'oie sauvage et la ballon jettent au lieu de lest des cris
Le poème est de l'angoisse anesthésiée
La douleur est meilleure que l'amour

«Isabelle pyjama noir
Le monde résonne du gramophone Dieu
O mandolines abandonnées sur les Gémaux
Le Monde c'est nous deux!
L'arbre de la cascade peut nous toucher de son âme verte

Là-bas un tram inconsolable attend au terminus ses soeurs
Et meurt vingt fois de consomption et de volupté
Les cloches nous éveillent toujours hors de la fosse du sommeil
O Isabelle pyjama noir il y a encore mille autres bonheurs
Chaque allumette ressuscite Bengale
Et pourtant rien ne vit sans nous!»


Mais dans la chambre voisine n° 19 le fabricant de savon
Chantait le même chant que moi à sa blonde Emmi
Et le piccolo le chantait à sa laitière
Au déjeuner nous dorions tous nos tartines de miel:
   C'est ça l'amour!
En attendant
Les mers passent avec leurs caravanes
Peuples de l'eau
Chaque sœur-vague me connaît
J'écoute pleuvoir la nuit sans étoiles
Chaque goutte percute mon cœur
Combien de gouttes meurent sur les narcisses
O vie énorme angoisse du monde
Entre temps il faut régler la note du camionneur
Je jette dix centimes dans la foule le Pape m'adresse un
   radiogramme
L'Illustration me fait sourire en effigie
Et tous les coiffeurs me montrent à leurs clients
Seigneur je suis inapte
A vendre les Vera-Shoes aux belles dames
Inapte à toujours beurrer les tartines d'Isabelle
Inapte à l'esprit révolutionnaire de l'Europe
Quelque part sur l'hémisphère sanglote une veuve:
«Je l'aime, et il ne m'aime pas!»
Mon profil narquois gît dans son cœur comme sur du
   velours rouge
La ville d'Ottava voudrait m'élire pour shériff
Mais je ne saurais pas faire de discours
Et Félix aujourd'hui est un mauvais prénom

Cependant je sens des alouettes dans ma gorge
L'arbre se plaint dans sa charpente
La lune est partout et chaque librairie met en vente
   Schopenhauer
A ma cigarette
Dieu s'est brûlé la barbe
Brûle Dieu
Je ne connais ni Bien ni Mal
Bouddha ne sortait pas en été pour ne fouler aucune vie
Mais sa respiration causait la mort de cent mille miasmes

L'arbre se nourrit d'air les insectes d'arbres les oiseaux
   d'insectes les serpents d'oiseaux la terre de serpents
   l'air de terre
Je ne connais ni Bien ni Mal
«Vera-Shoe chausse mieux!»
Et je le vends à bon marché
Recueillons-nous recueillons-nous
Les nombres de notre cerveau sont trop faibles pour porter
   les secondes
La pierre muette est sage
Le trèfle est sage qui ouvre et replie ses feuilles
Le trèfle est solitaire
Et simple
Soyons donc solitaires
Et simples


 

POÉSIES
ÉDITION DU MATIN. 1921

Edition du Matin

Les mats de Paris craquent:
O navire de granit
Romps les amarres, les toiles d'araignées
Où la lune guettait les étoiles-mouches...
Libres
Les tours gothiques balancent dans un vent rose
Leurs cloches cassent la faïence du ciel
Les anges se frottent les yeux

Couvents transis
Les chambres dans les couloirs
Ont peur
Odeur chaude de café au lait -
Le Christ boutonne ses chaussures
Les premiers tramways mal éveillés
Attendent les dernières femmes du bal
Et les petites filles au corset mal fermé.

De gros ours pataugent dans la Seine
Mais déjà des hirondelles
Frétillent dans la poêle du ciel
Un café Biard cligne de l'œil
Devant les gares de grands corbeaux blancs
Tournent autour des perrons
«Matin» «Humanité»

Les têtes lourdes ballottent dans le métro
On s'y chauffe comme dans un asyle
En ce moment
Une tête bien frisée
(Photographie en première page)
Roule derrière la prison

Pauvre homme!
Mais nos petits pains sont beurrés.


Cartomancienne

Pythie
Cinqième étage à droite
Sur son tabouret de piano
Qui a réglementairement trois pieds
Ivre de thé de Ceylan

Belle Pythie aux bas de soie très rouges
Suis-je ton Roi de Pique
Qu'hypnotisent les bijoux Fix

Valet de Trèfle médiéval
Serait-il mon rival?

Trois dix: on ira en voyage
S'il le faut, à Venise!

Mais où donc est la Dame de Cœur!


Acacias

L'été fait explosion
Obus d'un acacia
Lancé par qui?

Innombrable cœur qui m'engloutis
Ami milliardaire
Chaque feuille un espoir captif
Chaque oiseau une peine à peine oubliée
O chantez

Le vent balance lentement le monde


Soleil

Les boulangers ont parfumé l'aurore

Voici à leur vitrines
Derrière des champs de blés
Coupés
Qu'il monte là-bas
Gros pain de trois kilos
Tout chaud
Tout doré
SOLEIL


Horloges

Le temps tombe de toutes les tours
Aile de cristal qui se brise dans la rue
Suicide d'ange désespéré
            ÉTERNITÉ
De tous les Mont-Blanc l'heure se précipite
Éternité glaciale inventée par les hommes
Que nous buvons au compte-gouttes
          TOUS LES JOURS
Tous les jours ils nous font remourir
Nous courons! Nous courons!
Où?
          TOUS LES JOURS
L'autobus passe la Seine comme un centaure
L'express de Bruxelles démarre à 7 h 12 exactement
Demain matin la guillotine tranchera le cou de l'Aurore
Et la bourse ouvrira à midi

La terre tourne: cinquième roue de l'automobile divine
L'ange a beau se suicider
La bêtise reste immortelle


Cyclisme

32 Champions du monde!

L'arc-en-ciel bleu-blanc-rouge
Illumine Midi
Tournez!
Tournez sur le rail noir du Méridien
Tournez, Europe et Asie!
Tout tourne pour vous ! Nous prions pour vous !
     Cadrans d'horloge
     Courroies d'usines
     Ombrelles vertes
     Grande Roue des Loteries
     Tournez! Tournez pour eux!

Dernier round!
Gong!
Le soleil s'est engagé sur monocycle
Le stade vibre comme une roue de caoutchouc
Belgique! Amérique! Soleil!
Tournez pour une coupe Bennett
De la mort


Bar des Misères

Petit rossignol électrique:
A quand ce printemps parfumé d'Origan?
Nous monterons sur les impériales pour mieux voir le
monde
Il y aura des affiches bleu-ciel
Du bon chocolat S U C H A R D
Le soir on allumera soi-même ses étoiles!
Chante encore pour deux sous, cacophone
Des blouses de mousseline rose écloront sur le macadam
Et pour les cueillir
Il n'y aura qu'à sourire


Fin du monde quotidienne

Les tramways
Emportent la cendre crépusculaire
L'averse de lave est calmée
Il y a du vermillion et du feu
Encore à toutes les fenêtres

Puis la barque de la ville
S'échoue sur les rochers de nuit

Les hôtels sont d'immenses ruines
Noires
Dans les lits gris défaits
Il y a des plaintes encore
Derrière les portes mortes


Téléphone sans fil

Les horizons m'entendent-ils?

Sonnets sans fil
Pour alouettes

Parmi les coqueliquettes
Mon cœur s'effeuille
Sans qu'on le cueille

Or ce qu'il y a de triste:
J'ai tué la télégraphiste Personne
N'entendra plus sur les tours
Mon âme qui sonne
Au secours


Joaillerie

Les bijoutiers n'ouvrent que le soir
Collier de lampes à arc au cou de l'opéra
Monsieur Saturne descend de son auto bleu-pâle
Une Vénus de cent mille francs
Est née dans sa cravate de satin:
Vierge sans nom de famille et sans carte de pain
Ballerine de gala
Pendant les feux d'artifice

Qui donc a acheté le film du Zodiaque?
J'ai jeté dans la Balance mon cœur de rubis


Berceuse

Printemps de sleeping-car
Cueillir des bouquets de peupliers
Pour les lacs bleus d'une bergère
L'éventail des blés calme les hirondelles
Un centaure de 60 HP
Hurle
Par la vallée
Un fauve colle son vieux profil de bouc
A la portière
Et m'offre la pureté d'une source blanche -
Dans les fils télégraphiques
Un rossignol chante «Aida»


Pics

Glaciers qui avez toujours soif
Et suez des torrents
Pics à l'échiné fine
Dieux rudes
Ancienne race de travailleurs
Siècles fiers de la primitive pierre
Cassant les mille lances des soleils
Dans une seule main
Et les éclairs de métal rouge
Et les étoiles électriques

Un jour vous descendrez aussi Humbles
Ayant besoin de la foule
Dans des torrents n'ayant plus peur de rien
Torrents de foi
Torrents de peuple
Ensemble
Tous

Vous chercherez des libertés plus vertes
Dans la vallée de boue et de poussière
Vous aurez soif de sang et de bataille
Dieux las d'éternité et de sérénité
Vous ne demandrez plus rien
Qu'à mourir mourir mourir


Réveille-Matin

La nuit les fontaines rouillent
Les cheminées brûlent comme des cigares: il n'en reste rien.
Dans les cathédrales, dans leurs lits de pierre
Les anges sont rongés par les punaises d'étoiles.
On voudrait démêler l'écheveau des méridiens
Mais où trouver le bout du fil
Qui lança la toupie de la terre?
Le mortier du ciel s'émiette
Les routes par les campagnes sont des spirales
Qui ne savent plus où se diriger dans le vide.
Déjà le coq crie au secours
Le soleil fardé sortant des bordels
Titube dans les prairies
Une eau innocente
Chante
Seul l'homme ronfle encore
Car le réveille-esprit a cassé son ressort.


Petite Trilogie Alpine

1. Vallée

Pour cueillir les myosotis
Dans les prés
On se mouille les pieds

Un prunier
Fait le sentimental
Avec ses larmes violettes

Il y a des vaches
Des filles blondes:
La paix, l'éternelle bêtise.

2. Montagne

Je sens mon cœur rouge
Battre contre les pierres
Je l'ouvre comme une bonbonnière
Et en offre à tous

Mon âme bleu-ciel
Est un nuage

Rocher qui m'attend depuis cent mille ans
Chamois confiant dans chaque destin
Thym humide de l'amour d'une déesse

Je pleure en cette immensité
De n'être qu'un homme

3. Glacier

Sale neige
Fard déteint
D'un vieux ciel

Soleil moisi
Résidus d'éternité
Toute la bande des dieux s'est enfuie

Que faire de mes bras?
Je n'ai plus rien à prier

La clarté c'est la cécité
Dieu c'est la mort

Redescendre
Avec les torrents de la lutte
Redescendre
Vers la vie, l'amour, le café au lait


Départ

Le soleil est monté sur son vélocipède
II court les routes de l'Europe
Les gens ouvrent les yeux pour le voir
Des oiseaux limpides
Alarment la campagne
Et les laitiers sonnent le tocsin des villes
L'herbe sent l'amour des violettes
Lui monter à la tête
Mais avant de partir pour la mer
Les petits ruisseaux roses
Vont faire pipi derrière les framboisiers


Village

Les maisons pourrissent le long des prés
La pierre se dissout
Une eau moisit
Quelqu'herbe jaune entre ses lèvres
Et n'ouvre plus ses paupières bleues
Les bœufs au masque de désespoir
Choississent les plus vierges marguerites:
Au fond ça leur est bien égal
Un centaure cavalle
Sous les platanes
Coupé en deux :
Le cheval attelé au char de la terre
Et moi son autre moitié, le demi-dieu
Marchant pour ne pas trop le fatiguer -

De l'église penchée
Et du cadran des tournesols
Les minutes et les étés
S'égrènent


Les Dieux

Souvent dans les rues apocalyptiques
Des dieux passent de l'autre monde:
Tu n'as vu qu'une barbe blonde
Et les yeux d'une mer arctique

Ils portent des étoiles de couleur
Au lieu de diamants
A la boutonnière en guise de fleurs
Est peint leur cœur d'amants

Et tu les vois marcher parmi les foules
Illuminés le long des promenoirs
De becs de gaz, de lunes ou d'ampoules -
Lorsqu'il lui dit: «Prête-moi ton mouchoir!»


Les Pères

Comme ils s'en vont en petites redingotes
Marche nuptiale des longs ennuis
Ils sucent leur cigare ou leur mamelle d'étoile
Du même soupir
Comme ils s'en vont, les ventres chamarrés
Avec des breloques en or qui pendent
Ne dirait-on pas des Papouas
Et nous les appelons Papa
Leur pantalon est en cheviote anglaise à douze francs le mètre
Nour chantonnions sur leurs genoux le bon roi Dagobert
Aujourd'hui
Ils ont des chèques bruns ou roses suivant la Banque
Ils sont si fiers, les pères
Leurs petits doigts apoplectiques nous disent:
«Mais surtout pas de bêtises, mon fils!»
Pourtant ils sont si fiers, les pères
Quand il faut payer les enfants des actrices


La Demoiselle aux Myosotis

Premier printemps passé dans les confiseries!
La tapisserie était jonchée de myosotis
Le paravent fleurissait bleu pâle
A certain endroit il y avait des taches de café
Mais le miroir du buffet
Tel un ruisseau me saluait: Narcisse!
Printemps de ma vingtième année
Quelle demoiselle
N'eut donc pas eu deux myosotis dans les yeux!
Mais elle
En m'offrant les siens se nommait Phyllis
Puis avant que je la remercie, elle ajouta
«J'ai une dot de deux cent mille
Myosotis.»


Comme à Singapour

Manque de sentiment
Soyons sentimental
Faut-il donc être amant
Pour aimer monts et vals?

Allons cueillir les pissenlits
Sur les fortifications
Il n'est guère de paradis
Que celui que nous chanterons

Manque d'âme et de cœur
Il faut aimer toujours
L'amour et la douleur
S'achètent même à Singapour

A ceux qui pleurent en partant
J'enverrai des cartes-postales
Manque de sentiment
Soyons sentimental


Quatre Chansons pour elle

     I

Transforme la mansarde en oasis!
La caravane des cheminées chemine
Les Auto-Dromadaires du boulevard sont loin!

Les palmiers de ta chanson font de l'ombre
Rappelle-moi les longues barbes brunes de ton peuple
Et les poissons-bonheur de la Mer Rouge
O verse-moi
La liqueur verte de tes yeux de rêve

     II

Prends la pelisse de tout mon amour
Sur tes épaules trop peureuses:
Ne tousse pas ! Couvre-toi de mes sanglots chauds!

Je chasserai les mouches écarlates de ta fièvre
Et voici le fichu de laine brune
De mon regard qui bannit les hivers

Ton cœur va trouver son printemps

     III

Rose Maréchal-Niel: SOLEIL
Eclose sur la tige penchée d'un méridien
Nous buvons tous ta rose rosée
Et tous les soirs tes feuilles éternelles
Se meurent

Mais cette rose née dans un verre d'eau
Glaciers vertigineux où le bourdon
Lourd de mon cœur s'agite
Rose éclose de sa main matinale:
T'effeuilleras-tu si vite aussi?

     IV

Si je n'étais que cette cigarette
Humble parfum dont naissent les Orients
Flambeau de trois minutes -

O quelle éternité à vivre!
Étoile rouge irradiant tes yeux de soi
Phalène qui se tue au gaz bleu de tes yeux
Mourir, mourir où commence ton âme:
N'être que cendre! Puisque
Tout ce qui meurt devient Phénix!


Le Canal de Panama

1.

Caraïbes aux canoës clairs sur les lacs brun
Perroquets tricolores incendiant les arbres
Singes méchants: hululements et litanies :
C'était la forêt vierge! Alors
Vint l'Espagnol Conquistador grandiose et fol
Accaparant la Terre en l'embrassant
Tuant le dieu éclos des grandes flammes
Pour l'autre Dieu né d'une femme !
De petits chemin-de-fer païens
Avec leurs drapeaux de fumée
Comme des vers rongeaient les rocs de craie
Les palmiers se brisaient comme des mâts
Et les grues curieuses tendaient le cou
En conspuant le monde mort partout

2.

Maladies des pierres et du sang
Marais gluants
Soleils puants
Moustiques étés électriques
Chaleur poisseuse filtrant par entonnoirs
Ciels de midi devenus noirs !
La Peste verte et brune et borgne
Salive huileuse sur les plateaux
Dents cariées et lèvres mornes
Injectant la mort jusqu'aux os
Baraques! Bars! Dortoirs! Pissoirs!
Des rats des rats des rats des rats
Qui mangeaient du cheval gonflé
Et de l'homme à peine étonné

3.

La montagne soudain râla son rut
Crevant du ventre comme un fût
Volcans! Vipères ! Gouffres
Brûlants! Cratères jaunes de soufre
Talus rongées par de félins tunnels
S'émiettant en plâtre glabre. Sels!
Eaux! Tonnerres! Le badigeon qui tombe!
Et toutes ces Villes ! Villes de briques !
Villes de paille! Villes de tôle!
Chinois, Nègres, Italiens, Parisiens, Ohiens!
Eglises de sable, hôpitaux de vent, cabarets d'Eau de mort:
Tout s'écroula
Tous ces ouvriers fraternels
Qui suçaient pour deux sous la glace à la vanille
Et qui mangaient la friture du lac Gatun -
Maintenant : chacun dort seul dans sa fosse

4.

Enfin:
Creusé par les fleuves du Sang et les pelles de l'Or
A travers soc et roc et sable et câble
Le CANAL
DE PANAMA!
Des lampes à arc tendues de mer en mer
L'accompagnent les nuits d'hiver
Et le travail explose et gronde
Marteaux Presses Pompes Rouleaux: quelle hécatombe!
Aux deux entrées les deux écluses
Anges-gardiens aux ailes mécaniques
Bras fraternels des nouveaux Prométhées
S'ouvrent!
Et c'est le chant
De tous les océans
Les cœurs du monde qui s'embrassent
Barques Navires Dreadnoughts de toutes les races
Face à face


Gare Montparnasse

Vents du matin où flottent les chemises d'anges
Fleuve jeune et rose des boulevards
Qui charries les cafés-au-lait et les gloires dorées
Il fait bon vivre ce dimanche!
Les femmes de chambre des petits Hôtels Meublés
Ouvrent leurs bras tout grands pour embrasser le monde
En ouvrant les volets de nuit
Il y a des géraniums dans toutes les arrière-boutiques
Et des photographies qui souriront toujours
Les lourds tramways quittent le cœur de la ville
Bourdons antiques
Ils vont chercher sur les fortifications
Des violettes de Parme

Voici dans toutes les gares les trains fraternels
Baisers de rosée au poitrail des locomotives
Le chant de la mer
Dans les poumons de suie
O fauves d'Europe à la crinière de cuivre

Tout l'Atlantique débarque
Armadas et Dreadnoughts
En gare de marchandises à Montparnasse !

Des étoiles dans les caisses «fragiles»
Poissons d'avril et écrevisses
Toutes les bêtes du Zodiaque

Les voyageurs des grandes Nuits
Ont des ponts de rêve et des tunnels de peur dans leur valise
Et les fleurs fanées d'un parc
Ce prêtre à la barbe de bouc a couché avec Jésus
Et toi, petit matelot bleu
Au col et aux grands yeux d'enfant
Madagascar dans ton cœur symbolique
Une tante arrive pour son enterrement
Toute sa fortune dans sa sacoche
Du Crédit Foncier 4°/o
Et un bout de chocolat

PARIS! PARIS!

Les montagnes d'autobus se déplacent
Des hippopotames pataugent sur les places de glace
Les ruches des hôtels et des cellules
Pullulent
Danse macabre des sergents de ville
Aux jardins suspendus de Houbigant

DUBONNET
      DUBONNET
             DUBONNET
                   DUBONNET
Le métro chante
Les têtes des hommes cuisent à petit feu
Le «lion noir» règne dans la jungle de Paris


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